L’Humeur : Approche Neurobiologique, Hormonale et Chimique
L’humeur, définie comme un état émotionnel prolongé influençant les pensées et les comportements, résulte de l’activité complexe des réseaux neuronaux et des systèmes hormonaux. Elle est influencée par la chimie du cerveau, en particulier par des neurotransmetteurs et hormones, ainsi que par des substances externes telles que les drogues et les médicaments. Les neurosciences nous offrent aujourd’hui une vision détaillée de ces interactions.
1. La Biochimie de l’Humeur : Neurotransmetteurs et Récepteurs
a) Le rôle des neurotransmetteurs principaux
Les neurotransmetteurs sont des messagers chimiques qui transmettent des signaux entre les neurones, influençant ainsi notre humeur et notre état mental. Les neurotransmetteurs les plus impliqués dans la régulation de l’humeur sont :
- Sérotonine : Souvent appelée « hormone du bonheur », la sérotonine est essentielle pour stabiliser l’humeur, réduire l’anxiété et améliorer le sommeil. Un faible niveau de sérotonine est associé à la dépression, et beaucoup d'antidépresseurs agissent en augmentant la concentration de sérotonine dans le cerveau.
- Dopamine : Liée au plaisir et à la motivation, la dopamine joue un rôle important dans la sensation de récompense. Une baisse de dopamine est associée à une diminution de la motivation et peut contribuer à des troubles de l’humeur comme la dépression.
- Noradrénaline : Cette molécule agit sur la vigilance et la réactivité émotionnelle. Elle est essentielle pour la réponse au stress. Un déséquilibre de la noradrénaline peut entraîner de l’agitation et des troubles de l’humeur.
- GABA (acide gamma-aminobutyrique) : Ce neurotransmetteur inhibiteur aide à calmer l’activité neuronale excessive et est essentiel pour réduire l’anxiété. Un faible niveau de GABA est souvent observé dans les troubles anxieux.
b) Le rôle des récepteurs neuronaux
Les récepteurs neuronaux sont essentiels pour que les neurotransmetteurs exercent leur effet. Par exemple, les récepteurs de la sérotonine (comme le 5-HT1A) jouent un rôle dans la régulation de l’humeur et de l’anxiété. Les variations de densité ou de sensibilité de ces récepteurs peuvent affecter notre réponse émotionnelle et, à long terme, influencer notre humeur.
2. Les Hormones et la Régulation de l’Humeur
Les hormones, sécrétées par les glandes endocrines, influencent également l'humeur de manière significative. Voici les hormones les plus impliquées dans ce processus :
- Cortisol : Cette hormone de stress est libérée en réponse à des situations stressantes et a des effets importants sur l’humeur. Une production chronique et excessive de cortisol peut provoquer des sentiments de dépression et d’anxiété, car elle affecte l’hippocampe, une région du cerveau impliquée dans la mémoire et la régulation de l’humeur.
- Œstrogène et progestérone : Ces hormones sexuelles féminines peuvent également affecter l’humeur, surtout durant les cycles menstruels, la grossesse et la ménopause. Elles influencent les niveaux de sérotonine, expliquant ainsi pourquoi certaines femmes peuvent connaître des fluctuations d’humeur à différentes périodes de leur cycle.
- Testostérone : Présente chez les hommes et les femmes, cette hormone est associée à la confiance en soi et à la motivation. Un faible taux de testostérone peut être lié à des symptômes de dépression, tandis que des niveaux trop élevés peuvent provoquer de l’agressivité.
3. L’Impact de la Chimie des Drogues et des Médicaments sur l’Humeur
a) Drogues récréatives et humeur
Les drogues modifient la chimie cérébrale en interférant avec les neurotransmetteurs, affectant ainsi l’humeur :
- Stimulants (cocaïne, amphétamines) : Ces substances augmentent les niveaux de dopamine et de noradrénaline, procurant un sentiment intense de plaisir et d’euphorie. Cependant, l’usage prolongé peut épuiser les réserves de dopamine, causant des symptômes de dépression à l’arrêt.
- Cannabis : En agissant sur le système endocannabinoïde, le cannabis peut procurer des sensations de détente. Cependant, un usage intensif peut modifier les récepteurs du GABA et de la dopamine, ce qui peut provoquer des sautes d’humeur et de l’anxiété.
- Opiacés (héroïne, morphine) : En imitant les endorphines naturelles, les opiacés procurent une sensation de bien-être intense. Cependant, leur usage prolongé peut perturber la production d’endorphines naturelles, entraînant des états de dépression
- Les substances psychoactives agissent sur ce système qui est normalement activé par des signaux sensoriels (signaux naturels): par exemple, si on éprouve du plaisir à écouter une musique (stimulus auditif), on va vouloir écouter cette musique de nouveau. On dit qu'il y a renforcement positif.
- Dans le cas de l'usager de la drogue, c'est la drogue qui active les circuits du plaisir et de la récompense, court-circuitant ainsi l'environnement pour donner un renforcement positif. De plus, comme les substances psychoactives donnent en général un renforcement positif beaucoup plus puissant que les stimuli naturels, le sujet ne va plus cherche qu'à consommer la drogue de nouveau.
- Les neurones dopaminergiques mésolimbiques sont au centre de processus de récompense, à savoir les processus biologiques qui participent à la sensation subjective du plaisir. Ces neurones sont activés par la plupart des toxiques (voir figure ci-dessous). Ils jouent un rôle important dans les aspects psychiques de la dépendance, c'est à dire la sensibilisation et l'envie irrépressible de consommer la drogue.
b) Médicaments psychotropes et régulation de l’humeur
Les médicaments psychotropes sont spécifiquement conçus pour moduler les neurotransmetteurs impliqués dans la régulation de l’humeur :
- Antidépresseurs ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) : Ils augmentent la concentration de sérotonine dans le cerveau en bloquant sa recapture, contribuant ainsi à améliorer l’humeur et réduire les symptômes de dépression.
- Antidépresseurs tricycliques et IMAO (inhibiteurs de la monoamine oxydase) : Ces médicaments augmentent les niveaux de sérotonine et de noradrénaline. Bien que plus anciens, ils sont efficaces pour les dépressions sévères, mais peuvent causer des effets secondaires importants.
- Stabilisateurs de l’humeur (ex. : lithium) : Utilisés dans les troubles bipolaires, ces médicaments aident à réguler les fluctuations d’humeur. Le lithium, par exemple, stabilise l’humeur en modifiant les niveaux de glutamate, un neurotransmetteur excitateur.
- Anxiolytiques (benzodiazépines) : Ils augmentent l’efficacité du GABA, produisant un effet calmant. Bien qu’efficaces pour traiter l’anxiété à court terme, un usage prolongé peut mener à la dépendance.
4. L’Influence des Facteurs Environnementaux et du Mode de Vie sur la Chimie de l’Humeur
En plus des neurotransmetteurs et des médicaments, des éléments comme le sommeil, l’alimentation et l’activité physique modifient également la biochimie cérébrale. Par exemple :
- Le sommeil : Un sommeil de qualité permet une régulation optimale des neurotransmetteurs et des hormones. Les privations de sommeil augmentent les niveaux de cortisol, diminuant la dopamine et la sérotonine, ce qui peut provoquer de l’irritabilité et des troubles de l’humeur.
- L’alimentation : Certains nutriments, comme les acides gras oméga-3, le magnésium et le tryptophane (un précurseur de la sérotonine), soutiennent la production de neurotransmetteurs et contribuent à une humeur stable.
- Exercice physique : L’activité physique libère des endorphines et améliore la sensibilité à la sérotonine, réduisant les symptômes de stress et améliorant le bien-être mental.
Conclusion
L’humeur est un phénomène multidimensionnel, influencé par des interactions complexes entre neurotransmetteurs, hormones et influences externes. Les médicaments, les drogues et les pratiques de vie modifient chacun la chimie cérébrale, affectant ainsi l’humeur. Une meilleure compréhension de ces mécanismes biologiques permet de développer des interventions thérapeutiques ciblées, contribuant à un équilibre émotionnel et à une meilleure qualité de vie.